Après des décennies de déclin continu, la faim dans le monde s’accroît à nouveau. On estime à 821 millions le nombre de personnes dans le monde qui souffraient de la faim en 2018, et l’Afrique demeure le continent le plus touché par l’insécurité alimentaire.
De même que les autres bidonvilles urbains partout dans le monde, le bidonville très densément peuplé de Mbare, au Zimbabwe, est confronté à de nombreuses difficultés qui réduisent l’accès à l’alimentation pour la communauté. Il s’agit notamment de la rareté des terres cultivables, du manque de connaissances sur les façons d’utiliser les technologies pour améliorer les récoltes, du fort taux de chômage et du manque d’intérêt pour l’agriculture, en particulier chez les jeunes.
En réponse à ces défis, une équipe d’étudiants développe une solution novatrice : des cultures aquaponiques en milieu urbain qui utilisent les objets connectés pour améliorer l’autosuffisance alimentaire à Mbare. Mené par le chapitre du Zimbabwe de l’Internet Society avec l’aide de l’université du Zimbabwe, de l’espace de création du lycée St Peter’s et du I Am Mbare Youth Development Centre, ce projet a débuté en 2018 grâce à une bourse de 30 000 $ du programme Beyond the Net de la Fondation Internet Society.
Un ensemble de deux mètres de haut, constitué de structures ressemblant à des conteneurs, de pompes à eau, de canalisations et de plates-bandes en granit occupe un espace auparavant inoccupé près du département de chimie de l’université du Zimbabwe. De petits poissons nagent dans les conteneurs, en côtoyant plusieurs espèces de plantes dans des pots qui s’épanouiront bientôt en plants de colza, fraisiers et épinards.
L’aquaponie associe aquaculture (élevage d’animaux aquatiques, comme les poissons) et hydroponie (culture de plantes dans l’eau) dans un environnement mutuellement bénéfique. Ces deux éléments interagissent à travers l’eau qui circule de l’un à l’autre. Les plantes et les poissons grandissent simultanément, et les déjections des poissons sont transformées en nitrates qui servent d’engrais aux plantes, tandis que celles-ci filtrent et nettoient l’eau pour les poissons.
Au Zimbabwe, les étudiants de l’espace de création de Mbare ont même fait mieux encore, en mettant en place un contrôle de leur système aquaponique par des objets connectés. Parmi les appareils simples mais puissants utilisés, on trouve notamment un microcontrôleur Aurdino Uno qui sert de cerveau à ces opérations, des capteurs qui détectent les changements dans le système, un cluster d’ordinateurs à carte unique Raspberry Pi faisant office de mini-centre de données, et un réseau à longue portée qui réunit les éléments d’aquaponie.
Le microcontrôleur contrôle les aquariums en envoyant les données reçues de ses capteurs aux ordinateurs situés dans le laboratoire des étudiants. Qu’ils soient sur le campus ou au centre de création de Mbare, à 10 km de là, les étudiants reçoivent les alertes importantes sur le système, notamment sur la température de l’eau, le niveau de pH et les éventuels problèmes tels que des fuites. Cette configuration permet une surveillance constante grâce aux données transférées en temps réel vers un ordinateur portable ou un téléphone.
« Il est désormais plus facile de créer des systèmes aquaponiques grâce aux tutoriels sur YouTube. Mais ces informations ne sont pas accessibles à la plupart des habitants de Mbare. Cette bourse nous a permis de concevoir un modèle évolutif que nous utiliserons pour apprendre à la communauté à installer ses propres systèmes de manière coopérative, ce qui lui permettra à terme de produire sa propre nourriture à grande échelle. »
Solomon Kembo, responsable du projet Aquaponie et maître de conférences en génie logiciel à l’université du Zimbabwe.
En élaborant ce modèle, l’équipe a effectué plusieurs ajustements afin de l’adapter à son environnement spécifique. Elle a utilisé des panneaux solaires pour tirer parti de l’abondant ensoleillement du Zimbabwe et ne pas dépendre de l’instable réseau électrique national. Le système en lui-même a été construit en hauteur plutôt qu’en largeur, afin de prendre le moins d’espace au sol possible et d’être adapté à l’environnement de Mbare, où les résidents vivent dans des quartiers surpeuplés avec de très petites cours.
« Nous avons mis le code du projet en ligne sur une plateforme open source, GitHub, afin de pouvoir apprendre des meilleurs et permettre à d’autres personnes de copier notre travail », explique Gabriel Matemba, l’un des étudiants responsables du projet, originaire de Mbare. Rayonnant de fierté, il montre le trophée reçu au nom de l’équipe pour la 2e place remportée par le projet Aquaponie à la Clean Tech Competition de 2019, un prestigieux concours de recherche et de conception pour lycéens qui se tient chaque année à New York.
La création du laboratoire informatique où les étudiants surveillent le système, acte fondateur du projet Aquaponie, a été rendue possible en 2016 grâce à une précédente bourse de Beyond the Net. Il règne une franche camaraderie au sein de l’équipe d’étudiants qui vivent pour certains à Mbare et pour d’autres ailleurs dans la ville. Unis par la passion et les talents qu’ils ont en commun, ils forment une équipe à l’esprit collaboratif, en s’enseignant mutuellement différents langages de programmation et en s’encourageant les uns les autres.
« J’adore venir à l’espace de création, car nous y utilisons des technologies pour résoudre des problèmes graves auxquels est confrontée notre communauté, tout en apprenant chaque jour énormément de nos conseillers, mais aussi des autres membres de l’équipe. »
Perpetual Sanyangore, récemment diplômée de St Peter’s. Elle continue de se rendre régulièrement à l’espace de création en attendant le résultat de ses demandes d’inscription universitaires.
Maintenant que la phase de test est terminée, la prochaine étape sera de mettre en place un système de culture urbaine en aquaponie entièrement fonctionnel dans la communauté, en impliquant les familles ayant à leur tête une veuve ou un enfant. Les participants seront formés à l’utilisation des données et d’Internet pour contrôler le système, puis mettront ces connaissances en pratique pour produire du poisson et des légumes pour leur consommation personnelle, ainsi qu’un excédent pour la vente. L’objectif à long terme est d’attirer davantage de membres de la communauté vers la culture urbaine aquaponique, afin de réduire l’insécurité alimentaire et, à terme, de rendre les communautés urbaines plus résilientes et durables.